Ed. Actes Sud, coll. actes noirs
Il y a des bouquins qu'on aimerait ne jamais refermer. Cette trilogie fait partie de ces ouvrages. Les personnages sont très attachants : le héros principal, journaliste débonnaire à la tête d'un mensuel agitateur et controversé dans la Suède réputée si paisible, plongé dans les ennuis depuis qu'il a eu l'idée de s'attaquer soit à un industriel véreux (T.1), soit à l'extrême droite ou aux dérives d'une cellule de la Sureté de l'Etat (T.2 et 3). Sur sa route, une galerie d'individus charmants ou ignobles qui se repaissent inlassablement de café et de sandwiches en rencontrant des écueils aussi divers que l'éthique journalistique, le racisme ou les fascistes.
Le coup de maître de l'auteur, c'est de rendre son polar (puisque c'est bien de cela qu'il s'agit) à la fois confortable et haletant. Confortable parce le lecteur s'y sent bien, attablé autour d'un petit verre d'aquavit avec des héros sympathiques. Haletant puisque l'air de rien, l'auteur noue une intrigue diabolique avec d'autres personnages nettement moins sympathiques !
D'autre part, ces romans sont très bien documentés et tout à fait plausibles, car S.Larsson était (il est décédé juste après le dépôt de ses manuscrits chez l'éditeur) aussi et surtout un journaliste d'investigation entre autres auprès de la revue "Explo", revue observatoire des mouvements fascistes en Suède. Cette revue fait toujours l'objet de menaces de mort de la part de ces mouvements, comme l'a été Larsson.
Cette trilogie est donc une belle leçon d'indépendance journalistique, d'étude de la société suédoise pas aussi démocratique qu'elle ne paraît et en même temps un passionnant thriller intelligent !
Ed. Actes Sud
Après « L'Immeuble Yacoubian », son formidable récit autour d'un immeuble du Caire, El Aswany nous entraîne vers un nouvel univers romanesque à Chicago, cette ville mythique et sulfureuse où il recrée une « little Egypte » dans un département de l'université de Chicago.
Le docteur El Aswany est dentiste au Caire : il détartre l'hypocrisie de son pays en écrivant des romans tranquillement provocateurs. Le succès de son premier livre en a fait un écrivain intouchable, malgré les menaces et les chantages du régime.
« L'écrivain confirme sa maîtrise dans le déroulement du récit comme dans la finesse à la fois implacable et drôle des portraits, mais aussi dans une construction littéraire entre puzzle et mosaïque et dans la pertinence de l'analyse psychologique d'un peuple éternellement écartelé par son histoire » (La Libre Belgique)
Des dizaines d'histoires jaillissent de cette tragi-comédie croustillante, mais parfois amère, où le romancier étudie les faits et les sentiments de ses héros partagés entre la nostalgie de l'Egypte natale et la séduction d'une Amérique finalement accueillante mais aussi intolérante.
Divers personnages, à travers petits bonheurs et grands drames, se croisent : depuis cette jeune femme touchante venue du Delta au dérangeant diplomate, ancien tortionnaire des services secrets, depuis ce président des étudiants égyptiens, veule et à la solde du régime au vieux professeur américain, ancien pacifiste de la guerre du Vietnam qui, en recueillant une jeune veuve et son enfant … noirs se retrouve coupé de son entourage.
Si vous avez aimé « L'Immeuble Yacoubian » vous aimerez aussi « Chicago » !
Ed. Sabine Wespieser
Prix Rossel et Prix Rossel des Jeunes 2007
Vaste fresque historique située dans une région particulièrement bousculée de l'Europe Centrale au XIXe siècle, ce roman d'une auteure belge, réussit à échapper aux pièges du genre en y ajoutant une dimension fantastique et malgré l'ampleur du sujet, le récit captive de plus en plus au fil de son déroulement.
En Galicie, rattachée à l'empire austro-hongrois, une obscure famille reconquiert le domaine fondé et perdu par un ancêtre noble et s'engage dans la lutte d'indépendance polonaise.
Pour raconter cette ascension , puis sa décadence, l'auteure choisit comme narratrice originale : la maison elle-même. Cette maison est un personnage à part entière : indiscrète et manipulatrice, elle attise les passions, entremêle les destins : elle est partout, voit tout entend tout et connaît le passé mieux que ses habitants ; elle invente des choses et oublie celles qui lui déplaisent.
Les femmes surtout la fascinent : condamnées comme elle à la réclusion, elles sont réduites de mère en fille, à attendre l'amour en contemplant l'horizon, toujours le même fait de plaines, de champs où se nouent leurs vies, mais où rien ne semble changer malgré l'histoire qui avance.
Les personnages, faits de chair et d'esprit, sont finement individualisés ; leur psychologie est minutieusement décrite mais leur destin est lié à la situation sociale et historique.
Chaque personnage recèle un secret parfois lourd, et ces secrets, ces non-dits montrent l'attrait pour les zones d'ombres, les dessous des choses et les ténébreux complots. Le rapport homme-femme est horrible, les femmes sont bridées, brisées, l'émancipation se dessine difficilement à travers bien des échecs.
Ample fresque familiale, il frappe par sa finesse et sa subtilité . Apparemment plongé dans le réalisme, ce livre est en fait un genre de conte fantastique. S'il submerge le lecteur par le nombre de ses personnages et des événements historiques qu'il retrace, il nous laisse des matières à rêver et à conjectures.
Ed Perrin
Nos rois sont vraiment « TOFS » !!!
Voilà un livre qui nous réconcilie avec notre pays : ce n'est pas un appendice du Gotha, c'est de l' "Histoire" romancée, un récit follement passionnant, il dépoussière l'histoire de nos rois sans concessions mais sans faire les poubelles. Une histoire humaine de princes écrasés par leurs destin et tenaillés par leurs désirs comme tout un chacun, ils deviennent des personnages de théatre pleins de chair et de sang.
Chaque chapitre comporte le même schéma : il commence par un épisode mémorable dans la vie de chaque roi, puis sont évoqués les mœurs, les amours, les manies , les habitudes alimentaires, le poids du règne précédent à assumer, les problèmes posés durant le règne.
Les portraits sont savoureux, l'auteur formidablement documenté, compile toutes les anecdotes, tous les points de vue, même s'ils sont contradictoires ; il brasse la grande histoire et les potins et offre une série de portraits où on peut retrouver des constantes : accès au trône trop précoce, inattendu et donc peu préparé, envie d'abdiquer mais sans jamais le faire…
Le ton est extrêmement libre mais le livre est loin de n'être qu'à charge : l'encre peut parfois être au vitriol, mais l'auteur semble exprimer une immense tendresse à l'égard de ces rois "obligés" pour certains, à qui il reconnaît leur action politique. Grâce à lui pour une fois, les rois quittent leur tableaux figés et les pompes de Laeken pour devenir des êtres vivants qu'on voudrait rencontrer.
Il a appelé son livre « un roman feuilleton » pour ne pas laisser croire qu'il ne serait que scientifique : Roegiers se défend d'être un historien ou un journaliste, mais il a lu les 150 livres qui sont cités dans la bibliographie !
L'essentiel dans ce livre, c'est le ton : l'ironie, l'impertinence et l'humour typiquement belge, et la liberté de traiter les rois
comme des figures familières, même si exceptionnelles.
Remarquer aussi la langue, truffée de calembours et d'érudition : on aime
ou on n'aime pas !
Ed. Phébus
Elif Shafak, comme son collègue turc, prix Nobel 2006, ose secouer les tabous de son pays en évoquant le génocide arménien. Accusée donc de « porter atteinte à la dignité de l'Etat », elle a failli être expédiée en prison, avant d'être acquittée faute de preuves.
Voici l'histoire de deux jeunes filles en quête d'identité. La première, Asya, la bâtarde née d'un père inconnu, est une Stambouliote délurée et moderne qui brûle de voir sa patrie briser le joug des traditions rétrogrades. L'autre Armanouch, vit en Amérique où sa famille a émigré pour fuir le génocide arménien. Du passé, elle ne sait pas grand-chose comme si l'exil lui avait volé une partie d'elle-même, d'autant plus que son père arménien a épousé une américaine dont il est séparé ; elle vit donc tiraillée entre la culture arménienne qu'elle vénère et la non-culture américaine qu'elle voudrait rejeter.
Les deux filles se rencontrent à Istanbul et nouent un lien d'amitié, malgré les interdits qui pèsent pour les séparer.
Plusieurs générations de femmes se croisent sous le même toit, chacune avec son caractère, son histoire, ses espoirs : la mère frustrée du départ en Amérique de son seul fils, l'ainée des filles traditionaliste , une autre qui vit dans une vie rêvée, et la dernière, mère de la bâtarde, toujours traumatisée par son viol malgré la modernité de son comportement, enfin le seul fils parti brusquement en Amérique. Son retour inopiné dénouera tous les non-dits, et rendra la liberté à chacune.
L'auteure nous offre le portrait d'une Turquie contemporaine pleine de contradictions et qui souffre, même à Istambul, des pires archaïsmes d'une partie de sa population et des espoirs déçus de l'autre qui aspire à un modernisme libre.
Ed. de l'Olivier
On ne ressort pas indemne d'un tel livre.
Marie a perdu son emploi et mène une vie de femme au foyer au rythme quotidien des départs et retours de son mari et de leurs deux enfants. Tout irait bien sans le désœuvrement qui engendre la dépression des journées vides. On n'est jamais "à l'abri de rien" : fragilisée, elle découvre les "Kosovars", réfugiés clandestins abandonnés autour de la ville (Sangate ?).
Elle se noie dans le dévouement envers eux : tout plaquer et se donner à fond pour une cause qui la fait exister à ses yeux, sans tenir compte des conséquences pour soi-même et pour ses proches, est-ce possible ?
Marie est entraînée par une force irrésistible : la dépression est souvent un état insondable qui engendre l'incompréhension. Elle tente d'oublier son mal-être en se dévouant pour des "encore moins qu'elle", et se sent exister ainsi, mais ce ne peut être que temporaire.
L'écriture est brute, sans fioritures, sèche au service d'une histoire bouleversante et dérangeante.
Design par Gauthier Vandeputte et FastWrite